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15 avril 2017 6 15 /04 /avril /2017 10:27

 

Sur certaines routes très empruntées, il n'est pas rare que des camions, souvent immatriculés à l'étranger, me fassent des appels de phares, estimant que je les gêne dans leur course. J'avoue: ces moments là me mettent dans une rage folle. Je suis quelqu'un de prudent. Je respecte toujours la limitation de vitesse sur la route, scrupuleusement. Ces chauffards souhaitent que je mette ma vie et celle des autres usagers de la route en danger parce qu'un patron leur pose des contraintes de temps, ou pour je ne sais quelle prime. Je me fiche de leur cargaison de fraises farcies de pesticides venues d'Espagne ou de leurs tonnes de meubles Ikea qui seront jetés au premier déménagement par des consommateurs insouciants.

 

Il est évident que faire traverser l'Europe à des biens de consommation alors qu'on pourrait les produire sur place est une absurdité. Economique et écologique. Absurdité économique car nous aurions pu garder tous les emplois liés à leur production au pays au lieu de les faire produire au bout du monde ou du continent à moindre coût. Absurdité écologique car l'addition de tous les transports de marchandises par voie routière, aérienne, fluviale, maritime génère évidemment une pollution monumentale. Une pollution qui détraque notre santé et le climat.

 

L'Union européenne mais aussi l'OMC sont à l'origine de ce libre-échange destructeur qui a organisé cette économie globalisée et désorganisé nos sociétés. Le programme de la France insoumise proposer de pénaliser les transports longs pour favoriser les circuits courts. Cela aura pour effet de relocaliser l'économie et d'atténuer la crise écologique et sanitaire.

 

Mais je suis persuadé que cette relocalisation de l'économie aura aussi pour effet de rendre les routes moins dangereuses.

 

Il m'est arrivé de me trouver coincé au milieu de files de camions sur la tristement célèbre RCEA, l'une des routes les plus dangereuses de France. Coincé entre deux semi-remorques, sous la pluie, sans aire de repos sur des kilomètres, c'est un expérience éprouvante. Cet extrait d'un article du Monde expose bien en quoi l'utilisation de cette route pour le commerce international est à l'origine de nombreux accidents mortels.

 

"La RCEA est l’une des rares grandes liaisons transversales, qui ouvre la façade atlantique depuis Royan, Nantes et Bordeaux vers le sillon rhodanien, via Chalon-sur-Saône et Mâcon. Elle irrigue, au-delà, l’Allemagne, la Suisse, l’Italie et l’Europe centrale. Les transporteurs routiers plébiscitent cet itinéraire, quasi gratuit sur sa totalité.

Sa position stratégique, au nord du Massif central, en fait un axe privilégié pour les trajets de longue distance, en particulier pour les transports de marchandises. Il permet d’éviter les zones aux reliefs élevés, qui entraînent des consommations de carburant plus importantes et des difficultés de circulation en hiver.

Mais le trafic lié aux échanges économiques s’est vite révélé prédominant avec « l’intensification des liaisons entre les pays européens, et notamment le développement des échanges de marchandises entre l’Espagne et le reste de l’Europe », souligne l’Association pour la route Centre Europe Atlantique (Arcea). La RCEA voit défiler 15 000 véhicules journaliers, dont 40 % de camions. Sur certains tronçons, un véhicule sur deux est un poids lourd."

 


Il faut trouver des solutions techniques immédiates (aménagements des routes, ferroutage) pour sauver des vies sur cette route comme sur d'autres prises d'assaut par des armées de camions. Mais comprendre également que ce problème grave de sécurité est un choix de société. Une société où, au nom du profit, on pousse sur les routes des fous furieux au volant d'un 35 tonnes, considérant les automobilistes comme autant d'obstacles à franchir.

 

Au passage, je veux bien croire que "les routiers sont sympas", mais quand on a entre les mains une arme aussi redoutable qu'un semi-remorque, on se doit d'être beaucoup plus que sympa: irréprochable. Et si l'on devait proportionner la prudence au poids, les chauffeurs de semi-remorque devraient être 35 fois plus prudents qu'un type dont la voiture ne pèse qu'une tonne! On me rétorquera que les routiers subissent une pression de leur hiérarchie qui ne va pas dans le sens de la prudence. Sûrement, mais à ce niveau de dangerosité, je préfère encore un chauffeur routier au chômage qu'un automobiliste au cimetière.

 

Dans ma vie plutôt confortable, la route est sans doute l'endroit où je ressens de manière aussi physique la sauvagerie du monde moderne. Certains propriétaires de grosses cylindrées ont à peu près le même genre de comportement que les routiers mus par l'appât du gain ou par la crainte de perdre leur boulot. Mais je suppose que leur mobile est un peu différent. Passer devant les autres leur permet d'asseoir leur statut, eux qui ont la plus grosse bagnole et le plus gros compte en banque, Ce sont les meilleurs élèves de la société libérale, où les règles les plus élémentaires qui nous permettent de vivre ensemble sont vues comme des entraves à ce qu'on appelle la "réussite", c'est à dire l'accumulation de pognon.

 

Les candidats ultra-libéraux à l'élection présidentielle, comme Fillon et Macron qui pensent que le droit du travail ou les normes environnementales sont des règles trop contraignantes, seraient bien capables de nous dire un jour que le code de la route est archaïque, et que pour favoriser les échanges économiques et la croissance, on devrait pouvoir faire rouler les poids lourds à 150 km/h. Ce jour là, les gens qui n'ont pas encore ouvert les yeux comprendront peut-être la violence du libéralisme.

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